
Chronique de Jean-Baptiste Placca: Tous précaires et révocables...
Chronique de Jean-Baptiste Placca: Tous précaires et révocables......
En dépit de progrè notables en matière d'Etat de
droit et de démocratie, l'Afrique demeure, à certains égards,
le continent sur lequel survit encore une masse critique de
ceux qui se définissent comme des « hommes forts », avec
une sournoise prédilection pour les présidences à vie.
Alexis Guilleux : Alors
que l'actualité nous mène vers les
hommes réputés forts, qui
s'accrochent encore au pouvoir, ici
et là en Afrique, comment ne pas se
remémorer ce 20 octobre, qui
marque la fin, tragique, il y a six ans,
du colonel Kadhafi ? Avec cette
question, toute simple, qui brûle les
lèvres : pourquoi donc certains
tombent-ils, et d'autres, pas ?
C'est, en effet, le 20 octobre que
tombait, il y a six ans, le colonel
Kadhafi, aprè quarante-deux ans
de pouvoir. Pourquoi certains
tombent-ils, et d'autres pas,
demandez-vous ? L'on se doit,
d'abord, d'insister sur le fait que tous
tombent, un jour ou l'autre. La chute
est juste plus brutale, pour ceux qui
ne savent pas anticiper la fin,
l'organiser, et qui finissent, donc, par
la subir.
Car il n'est point
d'homme fort qui soit indéfiniment
plus fort que son peuple.
Ils ont eu
beau tuer, massacrer, emprisonner,
écraser, exécuter, il arrive toujours
le jour où la population finit par
vaincre leur cruauté. Les dirigeants
africains congédiés, ces dernières années, par les peuples du
continent, se prenaient tous pour
des hommes forts, ceux dont
l'Afrique, selon l'expression de
Barack Obama, n'a vraiment pas
besoin.
L'ancien président des
Etats-Unis insistait, au demeurant,
sur la nécessité d'institutions fortes,
bien plus utiles, de son point de vue,
que les hommes soi-disant forts.
Comme il avait raison !
Il fut un temps où même
les journalistes, en panne de
vocabulaire, cédaient à la facilité
d'adjoindre l'expression « homme
fort » au nom d'une capitale, pour
désigner un chef d'Etat : « l'homme fort de Bangui », de Libreville, de
Yaoundé, de Brazzaville, de
Ndjamena, et de quel autre bourg,
encore ! »
Et malheur aux faibles !
Car tout « homme fort » était
supposé inspirer frayeur aux
hommes, d'une manière générale
et, a fortiori, aux femmes et aux
enfants.
Comment expliquer que ces
hommes forts soient, il n'y a pas
si longtemps, tombés, les uns
après les autres, sur le
continent ?
La certitude d'être
véritablement des « hommes forts »
pousse nombre de ces dirigeants à
se prendre pour des intelligences
supérieures, qui n'écoutent plus
que les compliments des courtisans.
Et la plupart en viennent à penser
sincèrement que ce qui est arrivé
aux autres ne saurait leur arriver, à
eux, parce qu'ils sont… forcément
différents !
Lorsque, après la
chute de Zine el-Abidine Ben Ali, en
Tunisie, les Égyptiens se sont
mobilisés pour réclamer plus de
liberté, le raïs Hosni Moubarak
prévenait la terre entière que
l'Egypte n'était pas la Tunisie, et que
son pouvoir n'avait rien de
comparable avec celui de son
malheureux voisin.
Jusqu'au bout, il aura soutenu que son pays était
différent, que son pouvoir était
d'une inspiration autre, et que ce qui
était arrivé à Ben Ali ne pouvait lui
arriver, à lui, le Raïs. Même lorsque,
sur la Place Tahir, son sort paraissait
définitivement scellé, il trouvait
encore le moyen de se persuader
que son destin demeurait
supérieur. Puis un jour, en
désespoir de cause, il a envoyé
quelques bombardiers survoler la
mythique place, pour intimider, en
espérant renvoyer chez elles les
foules en colère. Peine perdue !
Même à sa chute, il était encore si
sûr de son fait qu'au lieu de fuir le
pays, comme Ben Ali, il s'est retiré
dans ses résidences de villégiature,
attendant que l'Histoire vienne le
réhabiliter.
La suite est connue. L'homme fort
devait suivre son procès, allongé sur
une civière, avec des lunettes de
soleil. Pour ne pas regarder les
Égyptiens dans les yeux ! Triste fin,
pour un « homme fort » !
Puis est venu le tour du colonel
Kadhafi.
C'est d'abord son fils, Saïf El-Islam,
qui a commencé par répéter aux
médias étrangers, dans son plus bel
anglais, que la Libye n'est ni la
Tunisie ni l'Egypte. Et que son pays
est un assemblage de tribus, qui ne
tenaient que grâce à la poigne de
fer de son génial géniteur : sousentendu
: « Faites sauter la digue
que constitue mon père, et vous
verrez, sur cette terre, le pire
désordre qui soit ! ». Ce en quoi il
n'avait pas totalement tort. Mais la
faute à qui, si, en quarante-deux ans de règne, le colonel Kadhafi n'a fait
que gérer les tribus, au lieu de les
fédérer et d'en faire une nation ?
Après le fils, le père lui-même s'est
fait prophète de malheur, pour
annoncer que si l'on osait l'éliminer,
la Libye se révélerait pire que la
Somalie. Les faits, aujourd'hui, lui
donnent raison. Mais, quel gâchis !
Kadhafi apportait beaucoup à
l'Afrique. A tous points de vue ! Mais,
lorsque l'on porte autant les
espérances de son peuple et d'une
partie de tout un continent, n'a-t-on
pas le devoir de se protéger contre
les pièges et ce genre de fin
tragique ? Certes, une partie de
l'opinion africaine ne cesse de
blâmer Sarkozy, pour la mort de
Kadhafi.
Mais Kadhafi lui-même ne
devait-il pas aussi se protéger
contre tous ces pièges, qu'il
connaissait ?
Il y a ensuite eu Compaoré, puis
Yahya Jameh, en attendant
d'autres…
Compaoré, « homme fort », stratège,
a manqué de vigilance et de
stratégie. Il aurait accepté et
organisé sa sortie qu'à l'heure qu'il
est, il serait un sage, respecté dans
son pays, et consulté dans la sousrégion.
Son peuple lui aurait peut-
être même pardonné une partie des
crimes inexpiables qu'aujourd'hui,
on lui impute. Il lui fallait juste
admettre qu'il en avait fait assez, et
passer la main.
A une mauvaise décision prè, un
destin politique peut basculer : dans
le meilleur, ou vers le pire.
Quant à Yahya Jammeh, son destin
était scellé depuis fort longtemps, et
aucun dieu n'aurait jamais pu le
sauver.